Glissade

13 mars, 2023
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Bonjour,

Depuis le début de l’hiver, nous constatons, avec tristesse, dans nos après-midi détente, que nos Amis malades d’Alzheimer ont changé, sont devenus moins participatifs, à croire qu’ils se laissent insidieusement glisser dans ce nouvel espace -temps qui les éloigne un peu plus encore de leur entourage et les enferme en eux mêmes.

Déjà, pendant deux longues années du Covid, cette fichue maladie s’est insinuée plus profond encore dans les cerveaux malades. Nos Amis ont vécu, bien malgré eux, le manque de socialisation et de stimulation, ils ont éprouvé la déliaison qu’entraîne la surprotection d’un confinement , terrible facteur d’isolement.

Aujourd’hui, dans les après-midi détente, le ballon voltige plus maladroitement entre les mains tendues, les rires fusent moins haut et les activités sensorielles et manuelles semblent avoir perdu leur saveur quand l’esprit décroche si vite, si loin…

Les bénévoles de ces après-midi récréatifs destinés à vitaminer pendant 3 heures les cerveaux engourdis, ces bénévoles ont la chance d’être assez nombreuses pour constituer des binômes : une bénévole-un malade.

Leur objectif : aller chercher avec bienveillance et attention tout ce qui peut éveiller des réactions de plaisir et de présence au monde chez les Amis.

Aujourd’hui, les proches aidants sont fatigués ; ils traversent tellement de situations difficiles malgré les aides, qu’ils arrivent à redouter l’avenir proche autant que lointain.

Ils sont pleins d’interrogations, de culpabilité aussi , celle de ne pas être à la hauteur.

Devant ce paysage humain aux identités incertaines, les bénévoles ont besoin de rentrer en soi-même pour mobiliser les forces intérieures et faire en sorte que le regard, la manière de les approcher ne détériore pas l’image que les malades ont d’eux-mêmes. Cela demande un effort, la volonté de ne pas juger et l’envie de s’ajuster à la situation délicate.

Je reprendrai, à ce propos, les paroles bienfaisantes de Michel BILLÉ, sociologue spécialisé dans les questions relatives aux handicaps et à la vieillesse.

Ecoutons le :

« ce n’est pas parce qu’il n’a plus la langue pour communiquer qu’il n’a rien à dire… »

«  ce n’est pas parce qu’il n’a plus les codes pour jouer avec les attributs identitaires que, pour autant, il faudrait lui soustraire le miroir du regard des autres ; »

«  ce n’est pas parce qu’il n’a plus la mémoire qu’il n’a pas d’histoire et qu’il n’a pas de culture ; »

« ce n’est pas parce qu’il ne peut plus dire et semble ne plus savoir ni qui il est, ni où il est, ni en quel lieu, qu’il n’est plus personne, qu’il n’est plus une personne ; »

«  ce n’est pas parce qu’il ne me reconnaît plus et ne peut plus me nommer, que son nom à lui doit disparaître de nos échanges ; »

«  ce n’est pas parce qu’il devient étranger qu’il n’a pas d’identité. »

« J’arrive où je suis étranger » disait Louis ARAGON, en parlant de la vieillesse.